Une œuvre à
remonter le temps
II faut aller chez
Jean-Pierre Baillet comme je l'ai fait, un matin de
début d'été étonnamment
chaud, tourner dans Plouay, à la recherche
d'une hypothétique pancarte « Lanvaudan
», comme si le hameau voulait se cacher du monde,
se faufiler sur une petite route tortillante et abritée
de frondaisons jusqu'aux abords de l'église
du village et se demander là si cette petite
route n'était pas un chemin à remonter
le temps dont la première halte m'aurait menée
à une journée du XVIIème siècle
d'un hameau endormi de chaleur.
On ne s'étonnera
pas alors qu'à cette étape d'un parcours
à l'envers du temps, Jean-Pierre Baillet m'ait
accueillie au seuil d'un ancien presbytère,
restauré de ses mains, et qu'entraînée
par lui dans son atelier, les premiers mots qui me
soient venus à l'esprit face à ses œuvres
soient « palimpseste », « manuscrit
», « grimoire », comme une porte
tout à coup entrouverte sur un secret enfoui
de l'univers.
Qu'on ne se méprenne
pas, il ne s'agit pas d'une oeuvre passéiste
ou ésotérique mais bien d'art contemporain
vivant, dont la vie passe par un cheminement au milieu
des traces et des strates.
La genèse de
chaque toile de Jean-Pierre Baillet montre une élaboration
où le temps entre comme une matière
à travailler au même titre que les couleurs,
fabriquées à l'ancienne par un mélange
de pigment et de colle de peau, couleurs passées
couche après couche sur le support de papier
kraft, avec entre chaque strate, un temps de séchage,
de repos, de silence, et petit à petit la sédimentation
prend forme, comme un schiste pigmenté.
Mais ce n'est là
qu'une première étape dans cette substantiation
du temps : la construction de l'œuvre passe en
effet par une déconstruction apparente. Commence
alors le travail d'usure, le grattage des couches
sédimentaires jusqu'au moment où apparaissent
plis, transparences, stigmates, jusqu'au moment où
surgit une lumière parfois quasi-imperceptible,
à l'état elle aussi de trace, parfois
plus éclatante, mais toujours associée
à des effets de reliefs, de griffures, de lignes
qui l'animent. Une lumière vivante en somme,
comme si, dans sa démarche de traversée
du temps, Jean-Pierre Baillet avait pris à
rebours l'exclamation de Macbeth : « Demain,
puis demain, puis demain, rampe à petits pas,
de jour en jour, jusqu'à la dernière
syllabe du souvenir; et tous nos hiers ont éclairé
pour des fous le chemin vers la poussière de
la mort. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau. »
et retrouvé une invisible source.
Brigitte LE CAM
Directrice de la Mission Culturelle de l'Université
de Bretagne Occidentale
Novembre 2004
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