Déhiscence de la
lumière
« Celui
qui entre par hasard dans la demeure d'un poète/
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui/ Que
chaque nœud du bois renferme davantage/ De cris
d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
». Ces quelques vers de René-Guy
Cadou peuvent s'appliquer à l'œuvre de
Jean-Pierre Baillet, tant ses peintures exercent sur
le spectateur une attirance et une fascination. Leur
vibrante lumière hissée de temps géologiques
requiert son attention et tout en désarmant
ses résistances, elle taquine son imaginaire
déhiscent.
Ses œuvres donnent
l'illusion de paysages traversés parfois par
un horizon retenant des couleurs duales qui s'appellent
sans jamais se confondre. Jean-Pierre Baillet a une
écriture identifiable qui s'est affirmée
au fil des années. Nulle dérive aventureuse,
nulle tentation d'être à la mode comme
c'est le cas de certains artistes, mais un désir
permanent d'être soi-même et de faire
émerger de ses lointains intérieurs
les récits d'une mythologie personnelle. Sa
démarche relève d'un constant travail
de fouille qui conjugue paradoxalement celui du recouvrement.
C'est de ces strates que vient sourdre « la
lumière du dedans » pour reprendre le
titre qu'il donne à son œuvre.
Dans sa quête
de la lumière, l'artiste fait alliance avec
le temps. Ce dernier contribue à métamorphoser
le papier kraft, la colle de peau et les pigments
en une matière qui donne à ses peintures
l'apparence d'œuvres pariétales, que les
migrations des ans ont cruellement éraflées.
Cette matière rappelle également le
bois de cloisons peintes, de portes écaillées
ou de malles fatiguées d'avoir bourlingué
et contre lesquelles la rumeur du monde est venue
se cogner. Le triomphe des rouges et des bruns ocrés
rappelle encore les peaux des reliures boursouflées
par les caprices de l'humidité et usées
par l'errance amoureuse des doigts. C'est cette peau
qui donne à l'œuvre toute sa tension et
qui révèle un combat ou un mimétisme
chromatique et le travail de cette matière
léguant à la toile les échos
de ces luttes et de ces surprenantes épousailles.
Ces cicatrices sont comme les traces fortuites laissées
par le ricochet d'un objet sur la peau d'une mémoire
ancestrale, car chez Jean-Pierre Baillet, certaines
empreintes d'outils rappellent sa filiation ouvrière.
Il salue ainsi la mémoire des siens, la patrie
des humbles d'où il est issu et que l'autorité
de l'ombre a imposé au silence.
Jean-Pierre Baillet
s'inscrit aussi dans l'histoire de la peinture par
cette mise en relief du détail. Ses œuvres
rappellent certains fragments d'œuvres de grands
maîtres peints sur les murs et que le temps
a marouflé. Cet adjuvant les incarne à
son tour ou les prolonge, retirant ainsi à
l'artiste l'unique signature.
« C'est le jour
qui nous tire en avant et qui nous donne notre figure
». note André du Bouchet dans ses carnets
de 1952 à 1956 pour définir son acte
poétique. Jean-Pierre Baillet pourrait également
le revendiquer tant son œuvre est un perpétuel
questionnement de sa lumière du dedans dont
les tons de certaines peintures courtisent un sens
presque christique. Chaque œuvre est comme le
repère d'un autoportrait en creux qui se dévoile
peu à peu.
Alain LE BEUZE. hiver
2004
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