Les critiques :
André RUELLAN
Charles MADÉZO
René GUIGNARD
Denise DELOUCHE
Yvon EURIEULT
Jacques JACOB
Charles JULIET
Alain LE BEUZE
Brigitte LE CAM
Renée Samouël
Claire Raffenne

Déhiscence de la lumière

« Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète/ Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui/ Que chaque nœud du bois renferme davantage/ De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt ». Ces quelques vers de René-Guy Cadou peuvent s'appliquer à l'œuvre de Jean-Pierre Baillet, tant ses peintures exercent sur le spectateur une attirance et une fascination. Leur vibrante lumière hissée de temps géologiques requiert son attention et tout en désarmant ses résistances, elle taquine son imaginaire déhiscent.

Ses œuvres donnent l'illusion de paysages traversés parfois par un horizon retenant des couleurs duales qui s'appellent sans jamais se confondre. Jean-Pierre Baillet a une écriture identifiable qui s'est affirmée au fil des années. Nulle dérive aventureuse, nulle tentation d'être à la mode comme c'est le cas de certains artistes, mais un désir permanent d'être soi-même et de faire émerger de ses lointains intérieurs les récits d'une mythologie personnelle. Sa démarche relève d'un constant travail de fouille qui conjugue paradoxalement celui du recouvrement. C'est de ces strates que vient sourdre « la lumière du dedans » pour reprendre le titre qu'il donne à son œuvre.

Dans sa quête de la lumière, l'artiste fait alliance avec le temps. Ce dernier contribue à métamorphoser le papier kraft, la colle de peau et les pigments en une matière qui donne à ses peintures l'apparence d'œuvres pariétales, que les migrations des ans ont cruellement éraflées. Cette matière rappelle également le bois de cloisons peintes, de portes écaillées ou de malles fatiguées d'avoir bourlingué et contre lesquelles la rumeur du monde est venue se cogner. Le triomphe des rouges et des bruns ocrés rappelle encore les peaux des reliures boursouflées par les caprices de l'humidité et usées par l'errance amoureuse des doigts. C'est cette peau qui donne à l'œuvre toute sa tension et qui révèle un combat ou un mimétisme chromatique et le travail de cette matière léguant à la toile les échos de ces luttes et de ces surprenantes épousailles. Ces cicatrices sont comme les traces fortuites laissées par le ricochet d'un objet sur la peau d'une mémoire ancestrale, car chez Jean-Pierre Baillet, certaines empreintes d'outils rappellent sa filiation ouvrière. Il salue ainsi la mémoire des siens, la patrie des humbles d'où il est issu et que l'autorité de l'ombre a imposé au silence.

Jean-Pierre Baillet s'inscrit aussi dans l'histoire de la peinture par cette mise en relief du détail. Ses œuvres rappellent certains fragments d'œuvres de grands maîtres peints sur les murs et que le temps a marouflé. Cet adjuvant les incarne à son tour ou les prolonge, retirant ainsi à l'artiste l'unique signature.

« C'est le jour qui nous tire en avant et qui nous donne notre figure ». note André du Bouchet dans ses carnets de 1952 à 1956 pour définir son acte poétique. Jean-Pierre Baillet pourrait également le revendiquer tant son œuvre est un perpétuel questionnement de sa lumière du dedans dont les tons de certaines peintures courtisent un sens presque christique. Chaque œuvre est comme le repère d'un autoportrait en creux qui se dévoile peu à peu.

Alain LE BEUZE. hiver 2004

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