Les critiques :
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Charles MADÉZO
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Jacques JACOB
Charles JULIET
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Renée Samouël
Claire Raffenne

Peintures

Les peintures de Jean-Pierre Baillet sont comme ces pierres antiques gravées de textes que le temps a usé, où n'apparaissent plus que des bribes de mots, des lettres imprécises, vagues signes que l'humidité recouvre d'une géographie aux contours indécis.

C'est donc le signe qui est le verbe - énigmatique - de ces peintures, verbe obscur dont le sens échappe à l'évident, parole qui ne se prononce pas, ne se lit pas, mais se REGARDE.

Jacques Jacob, Responsable des Arts Plastiques
Janvier 1990


Cernés.

Souvent cernés par un océan noir, ces tableaux sont comme des îles. A l'extérieur sont les étendues sombres et nues où rien ne se passe où le regard ne peut s accrocher et qui cernent des formes à la fois complexes et rassurantes : des îles entourées de nuit.

Mais aussi dans cet espace sombre pourrait-on voir un barrage naturel, générateur de silence (ou un passage naturel) protégeant la forme centrale où s'accomplit le tableau.

Peut-être encore, cette muraille du tableau n'est-elle qu'une défense provisoire et qui plus tard sera abandonnée.

Page.

Je remarque que très souvent ces peintures, en leur centre, ressemblent à des pages d'écritures et cela ne tient pas seulement aux signes qu'on y voit. Non, c'est ce rectangle approximatif qui le suggère, comme un livre ouvert ou comme une lettre usée qu'on aurait trop pliée, dépliée et qui parfois perd des fragments.

Le fragment.

C'est une forme qu'adoptent parfois ces tableaux.

C'est comme si, archéologue plutôt que peintre, Baillet avait retrouvé dans sa mémoire quelques traces, quelques bribes et voilà trois signes qui s'inscrivent sur fond d'ocre ou qui disparaissent, mangés par l'usure.

L'usure.

C'est Léonard qui déjà au XVIème parlait de ces dessins étranges que l'humidité dessine sur les murs et de ce pouvoir qu'ils ont de parler à notre imagination et je revois certaines fresques de Giotto, plus belles à mes yeux d'être si usées, si griffées.

La griffe.

Les signes qu'on voit là ont quelque chose de la griffe. Comme si un animal s'y était longuement acharné, pour le marquage de son territoire.

Un territoire.

C'est en somme ce qu'est cette peinture longuement travaillée, espace où s'inscrivent les obscurs désirs du peintre, champs plastiques où s'abritent les mémoires archéologiques, terrains où des dessins, hybrides de la lettre et du signe, remontent à la surface du papier ou de la toile, comme le font les cailloux dans les champs.

Cette impression du territoire est parfois suggérée par la division du tableau en cases ou en quatre parties et si j'évoquais la page et le livre c'est que ce sont aussi des territoires que sillonnent les lettres.

Or ici c'est l'origine de la lettre qui parcourt ces tableaux: le signe se fait verbe, verbe obscur dont le sens échappe à la raison, parole qu'on ne prononce pas, qu'on ne lit pas, mais qu'on REGARDE et qui parle par ses formes et sa matière.

Matière.

Que dire de cette matière ? Elle tient de la terre. Sa couleur, sa matité, son grain, tout parle de la terre.

Après tout c'est dans l'ordre des choses. Si la peinture de Baillet a ce caractère îlien que je remarquais au début, il devient évident que la partie centrale du tableau évoque la terre.

Enfin, une dernière remarque. Cette époque suscite des objets lisses, des matières inoxydables, des plastiques indestructibles comme pour exorciser le périssable et le temps : des objets gommés et sans rides finalement très angoissants.

A l'inverse les tableaux de Baillet semblent échapper à cette angoisse ; ici le temps est désarmé, ses conséquences sont acceptées, récupérées, l'usure se fait belle ; la trace précieuse, et tout porte la marque du vivant, plus émouvante d'être si fragile, si provisoire.

Jacques Jacob, Responsable des Arts Plastiques
Texte du catalogue de l'exposition au CAC St Brieuc
Janvier 1990


Il y a un vocabulaire qui s'attache aux œuvres des artistes. Qu'ils le veuillent ou non, des mots se greffent sur leurs musiques, leurs sculptures, sur leurs tableaux. Il y a même des mots qui se greffent sur les mots. Le mot peut donc être un parasite qui s'attache à nos activités, à toutes nos activités. Mais je suis ici pour vous parler d'un artiste et de sa peinture et je dois donc utiliser "les mots". Je vais essayer qu'ils soient des intermédiaires auprès de ces œuvres; des petites clefs. Je n'aime pourtant pas trop cette image; elle suppose que l'œuvre est fermée, voir hermétique; non, il suffit de regarder le tableau; j'allais dire bêtement car c'est aussi simple que cela.

Le tableau est une image génératrice d'émotions; et l'émotion se traduira; s'il le faut en mots; mais ça n'est pas nécessaire; j'insiste encore; car c'est le tableau qui est parole. (fin de ce préambule sur les mots.)

Donc Jean-Pierre Baillet, j'ai regardé ses tableaux et voici les mots qu'ils ont suscités. D'abord, la mer et l'île; donc la terre. La terre appelle le sillon donc la ligne; donc la page. Alors sont venues les lettres; les lettres et les signes; le signe donc la trace; la trace appelle un territoire donc un espace avec une limite;

Vous le voyez, nous retournons à l'île; à la mer. Ces tableaux sont cernés; un grand trou noir les borde d'où, par analogie, cette image de la mer; de la nuit aussi. Voyez encore : le centre du tableau est une forme isolée, entourée : c'est une île; c'est donc un territoire, celui du peintre. C'est là qu'il a exercé une activité; c'est là qu'il a laissé sa marque.

Nous pouvons observer les signes (c'est le mot) de son activité. Attachez vous à ces signes; ce sont les traces inscrites dans la matière du tableau, dans le sol du territoire; parfois d'une façon fragmentaire parfois régulière comme des sillons; comme si Baillet avait labouré le sol du tableau. Mais aussi, toujours par analogie, comme s'il avait dessiné des lignes de signes incompréhensibles comme pour des livres improbables.

Ayant eu à écrire un texte pour le catalogue de cette exposition, j'étais constamment entre plusieurs images que m'imposaient ces peintures; je croyais être dans l'image de l'île, un mot m'entraînait vers celle du livre; vers la page; la page vers la plage; à l'île et au territoire encore. Disant ces mots, ce n'est pas moi qui imagine, mais l'image peinte qui agit.

Et toujours, dans ces peintures de J.P.Baillet, les signes, à l'évidence, sont partout. Ce sont des paroles sans les mots; des paroles qui s'adressent au regard; cela s'appelle la forme et la forme est un langage à part entière; celui des yeux; celui des doigts aussi. Et ces signes sont les verbes énigmatiques, sans doute, de ses tableaux; verbes dont le sens échappe à l'évident; verbes imprononçables, qu'on ne lit pas non plus mais qu'on regarde.

Alors regardons !

Jacques Jacob, Responsable des Arts Plastiques
1990

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