Comme
Rimbaud à l'orée du bois, on marque
l'arrêt : "il y a une cathédrale
qui descend et un lac qui monte, il y a un oiseau
qui chante. Son chant vous arrête..." Dans
ces guenilles d'ors et de pourpre, un monde se propose,
présent, intense sous les traces qu'il laisse
affleurer, et qui très loin en nous étrangement
résonnent. "Il y a une horloge qui ne
sonne pas."
C'est peut-être
la clef : l'alchimiste Baillet, usant de glus et de
savants empois - personne ne le croit quand il décrit
ses colles de peaux de lapins - a su piéger
le temps dans des matières lumineuses et troublantes.
Peut-être le
lustre des vieux bois de portes rongés de vers
? Les cuirs corroyés qui scellaient les grimoires
? Ou des brocarts ? Des chasubles en lambeaux ? On
évoque Byzance, des fastes, des liturgies d'un
autre temps.
On sait pourtant que
Jean-Pierre Baillet travaille en l'an 1997 à
Lanvaudan. Et que les mânes de Wols et de Rothko
tremblent dans l'ombre sous les pigments. On revient
alors au travail de l'artiste, à cette fascinante
obstination de l'artisan.
On l'imagine attentif
aux lentes révélations de la matière
- mode court, mode long comme pour d'autres la voie
humide et la voie sèche - à ses enduits,
ses colles, ses pièges a pigments. Matière
à rêves, qu'il a savamment fécondée
de lumière dont il délivre, fervent
et inquiet, dans l'opulence et la splendeur, les rythmes
et les transparences.
Matière à
doute, aussi, que révèlent les déchirures,
les ombres, les cicatrices.
Cette ferveur, c'est
peut-être la fièvre de faire venir au
jour ces blancs d'os que dissimule entre colles et
pigments l'extrême munificence des portes et
des tentures. C'est l'os qui m'intéresse. Dans
ces bois, le cercueil, dans ces tentures, le linge
à border les momies. Le tissu sacré
imprégné d'argile et de sang. Le voile
maculé d'ocre de Véronique.
Car le temps piégé
c'est aussi la mort que depuis toujours l'homme occulte
sous les lamés, les velours Mais la mort, cendre
et poussière, est aussi trace, ce lent amalgame
où coagulent en savoir la matière et
le temps.
Les traces ici sont
celles des outils du père, truelle et boucharde
de compagnon scellées dans la lumière
qui, sûrement, poursuivent l'œuvre dans
les interstices.
C'est l'ambiguïté
et la richesse du tableau d'évoluer sous l'enluminure
de détenir dans son tréfonds le secret
simple et violent qui lie la mort avec la vie dans
un inépuisable épanouissement.
En Afrique, Baillet
serait griot, sorcier voué aux fétiches
qu'on enrobe de mucosités, de glaires et de
sang de toutes les matières du sacrifice -
ce n est pas un hasard, ces colles animales ! - Le
soleil avec l'argile tient lieu de liant et les doigts
du sorcier, et les outils du sacrifice usent et lustrent
le talisman, lui donnent chair et peau, lumière
et ombre. Le fétiche devient devin, intercesseur
entre ciel et terre.
Baillet est Celte.
A chaque peuple ses talismans. Ses toiles sont celles
d'un chaman qui d'abord nous séduit par la
splendeur et le raffinement puis nous propose d'écarter
le voile, de pousser la porte pour entrevoir sous
l'apparence ce qui subsistera peut-être dans
l'au-delà du temps.
Charles MADÉZO,
écrivain
Juillet 1997 |